Dans la province de Bujumbura, un homme d’Anicet Christophe Ntahomvukiye a brisé le tabou en fêtant de son vivant en août dernier sa levée de deuil définitive. La cause : des propos haineux tenus à l’endroit de ses parents morts. Mais sa décision est aujourd’hui sujette de controverse.

« Je n’ai aucun problème mental comme beaucoup de gens l’imaginent », fait savoir en toute tranquilité Anicet Christophe Ntahomvukiye, un quinquagénaire de la cellule Tuyaga sur la colline Gitenga de la province Bujumbura. Ce pasteur d’une église affirme avoir bien réfléchi et consulté sa femme et sa fratrie de six enfants avant d’organiser sa propre levée de deuil. Il témoigne d’avoir réalisé sa pensée avec raison. « Je suis normal. Que celui qui a des doutes vienne m’emmener à un psychologue pour me faire subir un examen mental ».
Interrogé sur les motivations de son agissement, il n’y va pas par quatre-chemins.
« Le jour de la célébration de la levée de deuil définitive de mes parents, j’ai surpris des gens soi-disant venir s’adjoindre à moi dans ces cérémonies en train de qualifier mes parents de malfaiteurs. De là, j’ai pris la décision de fêter ma propre levée de deuil définitive étant vivant pour éviter des propos qui se tiendront après ma mort », confie-t-il.
Il affirme avoir eu cette idée depuis la nuit des temps. « J’ai eu cette idée le jour même de la levée de deuil définitive de la mort de mes parents en 1998 ».
Sa femme et sa fratrie sont-elles du même avis avec lui ?

Dans ses pagnes de marque vêtues le jour de la levée de deuil définitive des parents de son mari, Libérate Ntamavukiro, épouse de pasteur Ntahomvukiye, témoigne : « Au départ, je pensais que fêter sa propre levée de deuil définitive de son vivant n’était pas une bonne chose en soi. Pourtant, à force d’en discuter longuement avec mon mari, j’ai fini par comprendre le bien-fondé de cette idée. Et j’ai fini par y adhérer», souligne-t-elle. Avec joie et sourire, cette femme affirme vouloir marcher dans le sillage de son époux. « Mon mari va aussi me préparer ma propre levée de deuil définitive de mon vivant », souligne-t-elle.
Hervé Iteriteka, fils d’Anicet et élève de la 9ème année à l’école fondamentale ne cache pas sa joie d’avoir célébré la levée de deuil définitive de son père, alors que celui-ci est encore vivant. « C’était la joie pour la famille. Quand mon père mourra, on procédera à son enterrement et c’est tout ».
Une décision jugée contre la tradition
Les différentes quinquagénaires interrogées à la cellule Ruyaga se prononcent contre cette décision. Cette dernière la qualifie d’irréfléchie et d’immorale. « J’ai 58 ans. Je n’ai jamais vu des choses pareilles, ce qui m’a été difficile à comprendre. Pour moi, ce n’est pas faisable dans la tradition burundaise », insiste-t-elle. Même son de cloche chez certaines autres femmes interrogées.
D’après ces femmes, l’argent dépensé pour ces festivités de trois jours est une grande perte pour sa famille.
Avis d’un spécialiste
Pierre Claver Njejimana, vous êtes psychologue en charge de l’élaboration des projets au Centre Neuropsychiatrique de Kamenge, qu’est-ce ce qui pousse l’homme à célébrer de son vivant sa levée de deuil définitive ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce comportement. Une personne peut avoir vécu une situation un peu confuse dans sa société, où elle voit la transgression des mœurs. Il constate qu’il n’a pas d’amour dans la famille ou dans la société. Il voit que tout le monde ne s’accorde pas sur la manière qui caractérisait le Burundi au départ. Normalement, la fête de lever de deuil, c’est le moment de se rappeler pour la dernière fois la personne qui a vécu pendant X temps sur terre. C’est aussi une occasion de reconnaître les actes louables qui l’ont marqué. Mais que la personne organise sa fête de levée de deuil est un signe révélateur de manque de confiance envers son entourage, sa famille et ses amis.
Donc, il n’a plus confiance à quiconque autour de lui. Il pense qu’il n’y a plus d’amour. Ce faisant, il se décide de dire, voilà, je termine, je romps avec tout ce qui me concerne étant vivant. Comme ça personne ne va dire tel était ça, tel était ci. C’est comme s’il voulait disparaître en ayant terminé tout ce qui lui concerne.
Est-ce un signe révélateur d’une maladie mentale ?
Dire que c’est un signe révélateur d’une maladie mentale, je dis non. Car une maladie mentale a des signes connus. Il y a d’abord un syndrome délirant appelé aussi syndrome hallucinatoire. La personne va développer des idées délirantes où elle va construire un monde propre à elle, qu’elle comprenne elle-même, sans aucune autre personne peut l’interpréter.
Un autre signe est que la personne entend des voix qui la hantent. Dans ce cas, la personne va se comporter d’une manière étrange par rapport à son comportement habituel.
Le dernier signe est le manque de sommeil.
Si un ce comportement de vouloir fêter sa levée de deuil étant vivant est dû aux propos blessants, quel comportement faut-il adopter ?
Il faut que les gens apprennent à vivre avec des personnes de bonne et de mauvaise cohabitation. Comme ça ils sauront comment se tenir devant la médisance. Fêter sa propre levée de deuil étant vivant va à l’encontre de la tradition. A l’instar de lui, on verra d’autres qui fêteront de leur lève de deuil étant encore en vie.